dimanche 31 août 2014

Party Girl

Fin août, en présence de Samuel Theis, acteur et réalisateur.

Film réalisé par Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis.


Angélique, marquise des... hommes.

Une femme libre, pour de vrai.

Entre documentaire et fiction, un cinéma aux formes hybrides dans lequel les acteurs sont d'un naturel criant de vérité. Il s'agit là d'Angélique Litzenburger, et de ses quatre enfants, dont l'un des réalisateurs du film, Samuel Theis.

Hormis S. Theis, aucun des acteurs du film n'avaient joué auparavant. Ils ne sont pas acteurs. Et pourtant... ils jouent dans ce film avec une efficacité redoutable. Tout y est spontané, du rire aux larmes, en passant par les moments de doute et de drague, d'émotion et de drôlerie. Le jeu est d'une fraîcheur incroyable. Entre candeur et générosité.

Alors qu'on est à... Forbach, dans un milieu extrêmement populaire, qui flirte à chaque instant avec la vulgarité et la bêtise crasse.

La réalisation aussi est intelligente. Les scènes les plus banales, pathétiques, laides sont sublimées, transcendées. Les personnages nous apparaissent très vite dans leur entier, plein de sincérité, de finesse et d'humanité.

Jamais on y pleurniche sur son sort médiocre, jamais ne sont mis en avant le manque d'argent, les histoires de sexe, les rancœurs ou les jalousies. Non. Juste l'Amour inconditionnel qu'il arrive que l'on se porte parfois au sein d'une famille, même si celle-ci est loin d'être conforme. Une histoire d'amitié aussi.

Cet Amour qu'Angélique a en elle - malgré sa vie dissolue et fracassante de "party girl", reine de la nuit, danseuse de cabaret pendant 35 ans, entraîneuse, alcoolique et fêtarde -, elle ne cessera de le distiller autour d'elle. Toujours. Angélique. C'est l'histoire d'une femme libre. D'une femme qui aime la vie, les hommes, l'amour. C'est le portrait d'une femme fidèle à ce qu'elle est. Sans compromis. Parfois absente, et, de fait, souvent défaillante.

Toujours aimante.
Une femme à aimer.

A la fin, elle dit non à Michel (Joseph Bour, autre excellent "non acteur"). Non. Elle a essayé. Essayé, essayé. Elle n'y parvient pas. Elle ne se fait pas à cette vie bien rangée, étriquée, de femme au foyer, de gentille retraitée. Loin des lumières et des étoiles du cabaret. Non, elle ne peut pas vivre avec Michel.

Et d'abord parce qu'elle n'est pas... amoureuse de lui !
Elle va avoir soixante ans. Un croisement de la vie. Un visage, un corps qui ont connu tous les excès. Mais Angélique, c'est un cœur de princesse. Toujours pure, toujours tendre, prêt à être émue encore. Elle rêve toujours du prince charmant.

Cette histoire d'amour, c'est aussi et sans doute d'abord, la déclaration d'un fils pour sa mère, qu'il re-met en lumière en lui offrant peut-être le plus beau rôle de sa vie.


La magie surprenante de ce film opère et vient délicatement nous cueillir.

Evidemment, une authenticité comme celle-là, ça ne fonctionne qu'une fois. Alors, apprécions cette petite pépite fragile, brillante et rock n'roll qui scintille un instant dans la nuit.
Une profonde respiration.


Une mention spéciale pour la bande originale du film, Party Girl de Chinawoman.

jeudi 28 août 2014

Charlie Bauer est amoureux

Théâtre de la Luna, festival d'Avignon 2014.

Texte d'Alain Guyard.
Mise en scène de Dominique Faccioli.

"Il n'y a d'amour que farouchement enragé, il n'y a d'engagement révolutionnaire que violemment amoureux."

On aurait pu s'en tenir au sous-titre de la pièce pour parler de celle-ci - l'intensité des scènes et le jeu tout en émotion des comédiens illustrant parfaitement le propos romanesque.

Or il n'en est rien car le tableau final nous ouvre à une relecture complète de l'intrigue amoureuse, et donc de l'engagement politique - moins pure, violente en fait - les deux inextricablement liés à chaque instant.
"Vive la liberté !", crie Renée Bauer...
Quelque chose se fractionne alors à l'intérieur de nous. Les larmes coulent. Pourquoi ?
Cette liberté qui nous est chère.
Cette liberté qui n'en est jamais une.
Cette liberté qui doit être sans cesse repensée.
Pour exister. Un peu.
La liberté, face à qui ? à quoi ?
Alors, qui est Charlie Bauer ? Charlie Bauer est amoureux.

L'amour, comme délivrance. Mais aussi, un enfermement.
Celui qui sauve et celui qui aliène.
Celui qui guérit, qui justifie.
Celui qui emprisonne et dépersonnalise.
Celui qui grandit et celui qui fige, et fustige, et fusille.
Celui qui unifie et celui qui crucifie.
N'être enfin plus que l'ombre de soi-même. Une caricature.
Tel est le prisme par lequel nous accédons à la légende révolutionnaire.

Une femme, professeur de français, éprise de liberté et de grands idéaux de justice et d'égalité, tombe amoureuse du prisonnier.
S'en suit une relation épistolaire entre les deux protagonistes par laquelle théorie et pratique se côtoient dangereusement, jusqu'à s'apprivoiser, s'aimer, ne faire qu'un.
Le raisonnement a besoin d'une incarnation empirique. Et la réciproque va s'avérer tout aussi vrai.
Une histoire d'amour absolument romantique nous est présentée là.
25 ans d'amour. Très peu d'années de vie commune, lors des rares et brèves libérations de Bauer.
Les tourments de la prison, les affres de la passion.
La liberté et la justice dans les yeux d'un gamin.

Presque rien sur les années douloureuses et cruelles auprès de Mesrine. Parti pris romanesque qui ne manquera pas de déranger et de coincer aux entournures de ceux qui les ont subies.

D'autant que c'est l'épouse, ici, qui mène ce jeu dangereux.
Quand Bauer se détourne des armes pour étudier jusqu'à obtenir un titre de docteur en anthropologie sociale, sous l'influence tacite de sa prof de femme, choisissant les mots pour continuer le combat, Madame Bauer cherche encore quant à elle, l'adrénaline du combat armé. Son flingue à elle, c'est Charlie. Sa vie.
Elle ne lui laissera pas d'autres choix que de lutter toujours les armes à la main.
Pour la liberté.
Oui. Aux prix forts...
Ceux d'un amour aliénant et d'une récupération sociétale arrangeante.
L'un alimentant l'autre jusqu'au bout.


mercredi 27 août 2014

Lucrèce Borgia

Cour du Château de Grignan, août 2014, dernière représentation.

Textes de Victor Hugo.
Mise en scène de David Bobbée.


Un coup d'épée... dans l'eau.

En un mot : dommage.
Dommage que Béatrice Dalle, la tête d'affiche soi-disant, ait un charisme de poisson rouge. Le plateau mouvant constitué d'eau froide haute de 30 centimètres n'appelait pourtant aucunement la métaphore aquatique... mais bien Venise. Complètement noyée, la Dalle... Aucun jeu, aucune émotion, rien ne se lit jamais sur son visage, ses mouvements - rarissimes - sont empruntés et sa voix monocorde sonne faux et ne porte jamais. Dur.
Dommage que la modernité ne soit jamais totalement assumée et que l'on finisse par boire sévèrement la tasse.
C'est l'excellent comédien Jérôme Bidaux - Gubeta - qui sauve le spectacle de bout en bout en lui donnant quelques lettres du théâtre.

Après, la scénographie est très réussie. Cette idée de mettre de la flotte de partout, elle est vraiment pas mal. Le jeu de lumières sur la façade du château et ce miroir d'eau est superbe. Soulignons la prouesse des comédiens qui jouent pendant 2 h 30 dans ce liquide presque glacé, se roulant dedans dès qu'ils le peuvent. Des petits gars au corps de rêve, en provenance du cirque et de la danse - ils vont nous en faire la démonstration sans répit... -, qui jouent plutôt bien.

David Bobbee, c'est franchement le mec qui a tout compris. Il a la recette du succès et il ne va pas la laisser perdre.
Une sorte de grosse salade appétissante et bien rafraîchissante en cette période estivale. Mais pas bien essorée. On y met tous les aliments nécessaires - danses, chants, acrobaties... ça croque sous la dent, ces petits mecs bien faits -  et plus encore afin qu'elle soit consistante et fasse l'unanimité, pour un prix très raisonnable. Une truc de saison pour touristes. Mais c'est fade au final. Sans finesse jamais. Il manque un ingrédient qui donnerait du goût et de la profondeur à cette préparation.
Un peu de sel dans cette eau.

2 h 30 faites de bric et de broc, c'est long. Un fourre-tout. Bobbee privilégie toujours la forme au fond, partant peut-être du principe que le fond est acquis puisqu'il s'agit d'auteurs reconnus et aimés de tous. Or, si on ne donne pas corps au fond, on ne l'entend plus. Il ne s'agit pas là de numéros de cirque, de cabrioles ou de saltos arrières (plutôt bien exécutés du reste - merci aux artistes), mais bien d'incarnation. De vie et d'émotion. Ca, il n'y en a jamais.

Le panache, à foison. A travers les corps vigoureux, athlétiques, hyper énergiques et toujours en mouvement des jeunes seigneurs. Ne boudons pas notre plaisir.
Mais le panache à outrance. Le bruit, les grands gestes. On en a plein les mirettes. Mais le coeur reste vide.
L'esthétique est là. Pendant la première heure. La surprise et l'enchantement fonctionnent plutôt bien. Mais seulement une heure. Après, on voit vraiment trop les ficelles et les énormes coutures artificielles.
L'arrivée des seigneurs est assez magistrale, tout comme la scène d'humiliation de Lucrèce. Il y a de très beaux effets dans cette eau qui renvoie au bruit que font les chevaux, aux vacarmes des rues, aux corps qui s'affrontent. La trouvaille est à souligner. Malheureusement, il y a définitivement trop d'eau, et à la fin du spectacle, on a but jusqu'à plus soif depuis longtemps.

Une modernité, donc, jamais véritablement assumée, notamment pendant cette scène du banquet - imbuvable... trop c'est trop - qui n'est là que pour faire étalage des qualités physiques et un peu artistiques des comédiens acrobates qui font les paons : une pincée de chant, une pincée de roue avant, ici l'on marche sur les mains, là on danse le hip hop, et nous... on marche sur la tête. Ennuyeux au possible. Bobbée gratte une grosse demi-heure en insérant des extraits du roman les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, et ça, ça ne rime franchement à rien. Dit en plus par l'hôtesse de ces lieux, une princesse en vieille rombière grotesque qui ne sert à rien non plus.

Bobbee, c'est une sorte de provocation politiquement correcte. Il flirte avec tout ce qui peut choquer mais reste toujours à la surface. De l'eau...
La modernité dans le langage n'est jamais vraiment osé. Et ça manque beaucoup.

Ah... Le mec à la gratte est... sympatique. Là aussi, dommage. C'était plutôt très joli au début, cette balade rock à la Damien Rice. Mais c'est redondant et à la fin, on ne sait plus quoi en faire de ce mec qui la ramène sans cesse, en anglais évidemment, alors - ben tiens ! - les comédiens le prennent à partie. Allez-y ! On est une bande de jeunes et on se marre... Pas de cadre. Pas de normes ! Ah ah ah... !


Le rôle de catharsis ?
Oui ! OF COURSE ! A les voir tous se vautrer allègrement dans cette pataugeoire glaciale, alors qu'on est nous-même déjà frigorifiés assis sur notre estrade en plein air bien trop frais pour la saison, on est vachement heureux et reconnaissants d'être bien au sec, même si avec une petite laine supplémentaire...