mercredi 24 septembre 2014

Les combattants

Film de Thomas Cailley, 2014.


Des chevaux de bois aux soldats de plombs.


Adèle est belle, athlétique, forte.
Éclatante et intrépide. Charnelle et sensuelle. Animale et terrible.
Son monde est apocalyptique. La fin des temps est imminente. Le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, la famine, l'individualisme... Il s'agit d'apprendre à survivre. Tout de suite. Expressément. Elle s'est forgée une identité de guerrière, tendue vers un futur proche des plus obscures.

Arnaud est doux. Flottant, hésitant.
Timide et emprunté. Amoureux et tendre.
Son père vient de décéder, et il reprend avec son frère l'entreprise familiale d'abris de jardin.
Il ne sait pas trop. Il ne se projette pas. Se laisse porter par la vie. Il vit. Simplement.

Ils sont éclatants de jeunesse. Un peu désœuvrés aussi. C'est l'été quelque part en Aquitaine...
Adèle et Arnaud n'ont rien à faire ensemble.

Un jour, Arnaud rencontre Adèle.
Un jour, Adèle voit Arnaud.

Alors, pour être avec elle, seulement, il la suit dans le même stage de survie de l'armée de terre.


A mi-chemin entre la comédie romantique, la farce et le cinéma de genre, Les Combattants dresse un portait original et efficace des très jeunes adultes, tout juste sortis de l'adolescence. Plein d'idéaux encore, intransigeants souvent, jusqu'au-boutistes toujours. Des personnalités qui se cherchent et se cristallisent un temps d'un extrême à l'autre. Des identités en devenir. Tournées vers le monde qu'on leur raconte. Coupées d'eux même. Si peu conscients en fait.

C'est avec une fine intelligence que Thomas Cailley parvient à nous faire ressentir ce qui se joue-là. De l'intérieur. A cet âge charnière où tout est possible parce que l'on s'invente, on se découvre, se construit. Se méconnaît tellement, s'identifie au monde qui nous entoure, tantôt agité et brutal, tantôt intimidant parce que vide de sens.

Avec pudeur. Les personnages sont ce qu'ils font. Ils s'expriment peu. Rien sur leurs sentiments. Rien sur leurs émotions. Tout est rentré. Rien n'est compris comme tel. Tout est vécu pourtant. Ca se joue ailleurs, dans les actes brusques et irréfléchis. Dans les attitudes gauches et fragiles. Les regards qui se toisent, se jaugent. Les tensions des corps qui s'appellent, se réclament. Des peaux qui brillent et respirent le désir. Les yeux durent. Les yeux doux. Les yeux qui se veulent.

T. Cailley filme ses personnages avec une justesse d'une grande subtilité parce qu'emprunte d'une tendresse amusée. Les situations à la fois incongrues et gracieuses, générées par les aléas d'une société vue comme retorse et étriquée, sont celles d'enfants qui jouent aux grands. Le burlesque adoucissant les angles.

Comment fonctionner dans ce monde d'adultes ? Dans ce monde qui s'autodétruit par manque de conscience donc d'humanité ? Un monde immature au sens premier du terme. Quelle en serait l'alternative viable ?
Arnaud le sent. Lorsque, allongé à même le sol à côté d'Adèle, il plante, une à une, des aiguilles de pins dans le sable, délicatement, avec une patiente infinie afin de ne pas les briser. Sans jugement. Sans penser. Pour passer le temps. Avec tolérance. Avec légèreté. Pour juste se concentrer sur l'instant présent. Tout ce qui est en somme. Et vivre.

lundi 8 septembre 2014

Métamorphoses

Film de Christophe Honoré, 2014.


Des démiurges qui ne fleurent pas la rose.


Christophe Honoré s'amuse à transgresser les codes du cinéma. Pourquoi pas. C'est dans l'air du temps. Du coup, pas franchement si original. Pourtant certains réalisateurs s'en sortent très bien et proposent des formes innovantes entre réel et fiction, tout en restant émouvantes. Sauf que pour s’adonner à ce genre-là, il faut un propos qui tienne la route, et le talent pour le mettre en œuvre.

Ici, rien de tout ça. Non seulement, les plans de paysage d'une lenteur et d'une laideur affligeantes nous plongent dans une torpeur végétative et ce, de façon précoce, mais en plus rien ne nous est raconté.

Il faut avoir une prétention démesurée pour s'imaginer pouvoir reprendre Les Métamorphoses, long poème épique latin d'Ovide, de l'an 1 - une œuvre de près de
12 000 vers écrite en hexamètres dactyliques - et la transposer à notre époque. Attention, pas n'importe où, dans une banlieue du sud de la France des plus moche, où des adolescents, collégiens affreux et pas très propres, endossent le rôle de divinités de la mythologie grecque, pour la plupart très connues d'Œdipe, Tirésias, Argus, Philémon, Jupiter, Junon, etc.

Aucune direction d'acteurs évidemment. D'ailleurs, acteurs, ils ne le sont pas et, d'effort pour nous le faire croire, il n'y en a pas. Non seulement ces ados sont terriblement laids, mais en plus ils jouent extrêmement mal. En fait, ils ne jouent pas. Ils se laissent vaguement porter par le vent. Beurk.
Heureusement qu'ils se transforment parfois en génisse. Seule être vivant du film incarné et doté d'une lueur d'intelligence. Le plus du film réside donc là, dans ce choix très judicieux d'une génisse de toute beauté.


De quoi s'agit-il alors ? D'un cinéma français "jeune", "anti-bobo", qui veut encore sortir du cadre affreusement "dégueulasse" (on veut nous ancrer ça dans le crâne) de la fiction travaillée et sublimée du 7ème art qui nous faisait rêver ou du moins nous transportait quelque part.

Là, il n'y a pas de message. Il y a : des adolescents à poil durant presque deux heures, faisant l'amour un peu partout dès qu'ils le peuvent. Des corps sans grâce, des dieux et des déesses sans âmes, des interactions vaines et finalement complètement factices. Quant au langage... on est loin de la poésie. On l'aura compris très vite.

Pour nous parler de la banlieue encore, pour casser les barrières du genre et entre les genres toujours, pour éduquer la plèbe certainement, pour illustrer la mutation adolescente - ce passage difficile, ingrat où l'infant devient adulte et se pense à la fois et le plus laid et le plus fort. Des dieux et des déesses au rabais. Et au ras des pâquerettes, au plus près du bitume.


Encore pour ne rien nous dire. Et le dire très mal.

Il serait temps de mettre un terme à cette pauvreté pédante - tentative (impuissante) d'intellectualisation pour pallier le manque de créativité, et qui contrecarre systématiquement toute velléité d'imagination.