mercredi 29 octobre 2014

Mommy

De Xavier Dolan, 2014.


Du prémâché à l'auto digestion instantanée


Steve est un adolescent de quinze ans au tempérament maladivement excessif, tantôt agressif et tantôt charmeur.
Sa mère, Diane, est une belle veuve, jeune encore, gouailleuse et passablement vulgaire, dotée d'un caractère bien trempé.
Une voisine, Kyla, petite bourgeoise mal dans sa peau qui va temporiser et permettre à ce trio étrange de fonctionner un temps presque normalement, dans cet équilibre somme toute précaire.
Quelques débordements, un démêlé avec la justice.
Voilà tout.
Le point très positif du film est l'utilisation de l'argot québécois, le joual, de façon extrêmement cocasse et outrancière, particulièrement bien exploité ici.

Xavier Dolan a choisi de situer cette histoire dans un futur très proche dans lequel l'Etat du Canada autoriserait un parent désespéré à abandonner son enfant au service public hospitalier.
Cette loi extrémiste, n'étant là que pour appuyer le mélodrame de façon artificielle, n'apporte pas grand chose au film déjà bourré à craquer de pathétisme démesuré.

Pour entériner sa rhétorique très colorée et surchargée d'arguments ampoulés, Dolan nous abreuve d'une discographie ultra populaire des plus galvaudées. Des plus navrantes. Nous - la plèbe, inculte par définition, nourrie dès notre plus jeune âge à coup de Cécile Dion, d'Oasis et autres supercheries sucrées bons marchés à avaler tout rond les yeux fermés en guise d'anesthésiant, dont nous faisons notre patrimoine culturel -, sommes censées nous identifier à ces archétypes, sans jamais nous rebeller donc.

Ce film est à l'image de Dolan : attachant certes, excessif bien sûr, à l'émotivité exacerbée, à la jeunesse en bandoulière. Alors, oui, le travail est bien fait et on lui pardonne certains débordements d'une hardiesse encore juvénile par endroit et un brin arriviste.
Mais c'est aussi un objet terriblement prétentieux qui transpire l'ego surdimensionné, pétri de bonnes intentions démagogiques. Un penchant un peu dangereux dans le genre "rabatteur de foule", très troublant pour son jeune âge.

Dolan est donc un instinctif doublé d'un intuitif. Et le traitement original et ultra moderne de ce drame familial aurait sans doute pu convaincre et séduire sans réserve.
Il sait ce qu'il faut faire pour plaire à la masse. Pour provoquer sans offusquer. Pour faire réagir sans faire de vagues. Pour faire semblant de dire ou de dénoncer.
Pour gravir les marches quatre à quatre.
Pour ne rien dire mais le dire très très fort et de façon si novatrice que, l'espace du film, la forme parvient à supplanter l'absence de fond.
Il surfe adroitement sur ce raz-de-marrée du "nouveau cinéma français" dont il maîtrise les codes avec maestria : des émotions coup-de-poing, le prolétariat comme terrain de jeu, la résilience en porte-drapeau toile de fond à défaut de culture, pour spectateur éduqué à la télé réalité, la surconsommation de l'"amour", le tout tout-de-suite surtout très vite et très fort. L'étourdissement avec des chimères, le remplissage vain. Et puis plus rien.

En tentant de bousculer le langage cinématographique, et avec lui notre étroitesse de vue embourgeoisée, Dolan adhère à cent pour cent aux desideratas ambiants. Il obtient donc un vingt sur vingt à sa copie. Où rien n'est laissé au hasard, de sorte qu'il est impossible que le spectateur est un avis objectif, et encore moins subjectif. Les émotions calibrées et orchestrées, identiques pour chacun de nous, sont parfaitement calculées. Aucune expérience ni réflexion ne peut naître de ce cinéma car tout est organisé de façon millimétrée. Seul existe un bruit incessant, peut-être enivrant.
Un peu comme devant un feu d'artifice, ou dans une fête forraine. Un truc qui fonctionne en surface, qui sonne creux. On en prend plein les mirettes. Le grand huit nous procure un tourbillon assez magique d'émotions factices variées dont on ressort légèrement ahuri. Un instant chancelant. Que s'est-il passé ? Rien en fait. Plus rien.

Xavier Dolan est donc est excellent technocrate de l'émotion mécanique.
On passe un moment plutôt agréable, sans dérangement fondamental. Et probablement que ça peut être ça, aussi.
Une truffe aux aspérités lissées.
Une pochette surprise.
Un diable en boite.

Une barbe à papa.

mercredi 24 septembre 2014

Les combattants

Film de Thomas Cailley, 2014.


Des chevaux de bois aux soldats de plombs.


Adèle est belle, athlétique, forte.
Éclatante et intrépide. Charnelle et sensuelle. Animale et terrible.
Son monde est apocalyptique. La fin des temps est imminente. Le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, la famine, l'individualisme... Il s'agit d'apprendre à survivre. Tout de suite. Expressément. Elle s'est forgée une identité de guerrière, tendue vers un futur proche des plus obscures.

Arnaud est doux. Flottant, hésitant.
Timide et emprunté. Amoureux et tendre.
Son père vient de décéder, et il reprend avec son frère l'entreprise familiale d'abris de jardin.
Il ne sait pas trop. Il ne se projette pas. Se laisse porter par la vie. Il vit. Simplement.

Ils sont éclatants de jeunesse. Un peu désœuvrés aussi. C'est l'été quelque part en Aquitaine...
Adèle et Arnaud n'ont rien à faire ensemble.

Un jour, Arnaud rencontre Adèle.
Un jour, Adèle voit Arnaud.

Alors, pour être avec elle, seulement, il la suit dans le même stage de survie de l'armée de terre.


A mi-chemin entre la comédie romantique, la farce et le cinéma de genre, Les Combattants dresse un portait original et efficace des très jeunes adultes, tout juste sortis de l'adolescence. Plein d'idéaux encore, intransigeants souvent, jusqu'au-boutistes toujours. Des personnalités qui se cherchent et se cristallisent un temps d'un extrême à l'autre. Des identités en devenir. Tournées vers le monde qu'on leur raconte. Coupées d'eux même. Si peu conscients en fait.

C'est avec une fine intelligence que Thomas Cailley parvient à nous faire ressentir ce qui se joue-là. De l'intérieur. A cet âge charnière où tout est possible parce que l'on s'invente, on se découvre, se construit. Se méconnaît tellement, s'identifie au monde qui nous entoure, tantôt agité et brutal, tantôt intimidant parce que vide de sens.

Avec pudeur. Les personnages sont ce qu'ils font. Ils s'expriment peu. Rien sur leurs sentiments. Rien sur leurs émotions. Tout est rentré. Rien n'est compris comme tel. Tout est vécu pourtant. Ca se joue ailleurs, dans les actes brusques et irréfléchis. Dans les attitudes gauches et fragiles. Les regards qui se toisent, se jaugent. Les tensions des corps qui s'appellent, se réclament. Des peaux qui brillent et respirent le désir. Les yeux durent. Les yeux doux. Les yeux qui se veulent.

T. Cailley filme ses personnages avec une justesse d'une grande subtilité parce qu'emprunte d'une tendresse amusée. Les situations à la fois incongrues et gracieuses, générées par les aléas d'une société vue comme retorse et étriquée, sont celles d'enfants qui jouent aux grands. Le burlesque adoucissant les angles.

Comment fonctionner dans ce monde d'adultes ? Dans ce monde qui s'autodétruit par manque de conscience donc d'humanité ? Un monde immature au sens premier du terme. Quelle en serait l'alternative viable ?
Arnaud le sent. Lorsque, allongé à même le sol à côté d'Adèle, il plante, une à une, des aiguilles de pins dans le sable, délicatement, avec une patiente infinie afin de ne pas les briser. Sans jugement. Sans penser. Pour passer le temps. Avec tolérance. Avec légèreté. Pour juste se concentrer sur l'instant présent. Tout ce qui est en somme. Et vivre.

lundi 8 septembre 2014

Métamorphoses

Film de Christophe Honoré, 2014.


Des démiurges qui ne fleurent pas la rose.


Christophe Honoré s'amuse à transgresser les codes du cinéma. Pourquoi pas. C'est dans l'air du temps. Du coup, pas franchement si original. Pourtant certains réalisateurs s'en sortent très bien et proposent des formes innovantes entre réel et fiction, tout en restant émouvantes. Sauf que pour s’adonner à ce genre-là, il faut un propos qui tienne la route, et le talent pour le mettre en œuvre.

Ici, rien de tout ça. Non seulement, les plans de paysage d'une lenteur et d'une laideur affligeantes nous plongent dans une torpeur végétative et ce, de façon précoce, mais en plus rien ne nous est raconté.

Il faut avoir une prétention démesurée pour s'imaginer pouvoir reprendre Les Métamorphoses, long poème épique latin d'Ovide, de l'an 1 - une œuvre de près de
12 000 vers écrite en hexamètres dactyliques - et la transposer à notre époque. Attention, pas n'importe où, dans une banlieue du sud de la France des plus moche, où des adolescents, collégiens affreux et pas très propres, endossent le rôle de divinités de la mythologie grecque, pour la plupart très connues d'Œdipe, Tirésias, Argus, Philémon, Jupiter, Junon, etc.

Aucune direction d'acteurs évidemment. D'ailleurs, acteurs, ils ne le sont pas et, d'effort pour nous le faire croire, il n'y en a pas. Non seulement ces ados sont terriblement laids, mais en plus ils jouent extrêmement mal. En fait, ils ne jouent pas. Ils se laissent vaguement porter par le vent. Beurk.
Heureusement qu'ils se transforment parfois en génisse. Seule être vivant du film incarné et doté d'une lueur d'intelligence. Le plus du film réside donc là, dans ce choix très judicieux d'une génisse de toute beauté.


De quoi s'agit-il alors ? D'un cinéma français "jeune", "anti-bobo", qui veut encore sortir du cadre affreusement "dégueulasse" (on veut nous ancrer ça dans le crâne) de la fiction travaillée et sublimée du 7ème art qui nous faisait rêver ou du moins nous transportait quelque part.

Là, il n'y a pas de message. Il y a : des adolescents à poil durant presque deux heures, faisant l'amour un peu partout dès qu'ils le peuvent. Des corps sans grâce, des dieux et des déesses sans âmes, des interactions vaines et finalement complètement factices. Quant au langage... on est loin de la poésie. On l'aura compris très vite.

Pour nous parler de la banlieue encore, pour casser les barrières du genre et entre les genres toujours, pour éduquer la plèbe certainement, pour illustrer la mutation adolescente - ce passage difficile, ingrat où l'infant devient adulte et se pense à la fois et le plus laid et le plus fort. Des dieux et des déesses au rabais. Et au ras des pâquerettes, au plus près du bitume.


Encore pour ne rien nous dire. Et le dire très mal.

Il serait temps de mettre un terme à cette pauvreté pédante - tentative (impuissante) d'intellectualisation pour pallier le manque de créativité, et qui contrecarre systématiquement toute velléité d'imagination.

dimanche 31 août 2014

Party Girl

Fin août, en présence de Samuel Theis, acteur et réalisateur.

Film réalisé par Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis.


Angélique, marquise des... hommes.

Une femme libre, pour de vrai.

Entre documentaire et fiction, un cinéma aux formes hybrides dans lequel les acteurs sont d'un naturel criant de vérité. Il s'agit là d'Angélique Litzenburger, et de ses quatre enfants, dont l'un des réalisateurs du film, Samuel Theis.

Hormis S. Theis, aucun des acteurs du film n'avaient joué auparavant. Ils ne sont pas acteurs. Et pourtant... ils jouent dans ce film avec une efficacité redoutable. Tout y est spontané, du rire aux larmes, en passant par les moments de doute et de drague, d'émotion et de drôlerie. Le jeu est d'une fraîcheur incroyable. Entre candeur et générosité.

Alors qu'on est à... Forbach, dans un milieu extrêmement populaire, qui flirte à chaque instant avec la vulgarité et la bêtise crasse.

La réalisation aussi est intelligente. Les scènes les plus banales, pathétiques, laides sont sublimées, transcendées. Les personnages nous apparaissent très vite dans leur entier, plein de sincérité, de finesse et d'humanité.

Jamais on y pleurniche sur son sort médiocre, jamais ne sont mis en avant le manque d'argent, les histoires de sexe, les rancœurs ou les jalousies. Non. Juste l'Amour inconditionnel qu'il arrive que l'on se porte parfois au sein d'une famille, même si celle-ci est loin d'être conforme. Une histoire d'amitié aussi.

Cet Amour qu'Angélique a en elle - malgré sa vie dissolue et fracassante de "party girl", reine de la nuit, danseuse de cabaret pendant 35 ans, entraîneuse, alcoolique et fêtarde -, elle ne cessera de le distiller autour d'elle. Toujours. Angélique. C'est l'histoire d'une femme libre. D'une femme qui aime la vie, les hommes, l'amour. C'est le portrait d'une femme fidèle à ce qu'elle est. Sans compromis. Parfois absente, et, de fait, souvent défaillante.

Toujours aimante.
Une femme à aimer.

A la fin, elle dit non à Michel (Joseph Bour, autre excellent "non acteur"). Non. Elle a essayé. Essayé, essayé. Elle n'y parvient pas. Elle ne se fait pas à cette vie bien rangée, étriquée, de femme au foyer, de gentille retraitée. Loin des lumières et des étoiles du cabaret. Non, elle ne peut pas vivre avec Michel.

Et d'abord parce qu'elle n'est pas... amoureuse de lui !
Elle va avoir soixante ans. Un croisement de la vie. Un visage, un corps qui ont connu tous les excès. Mais Angélique, c'est un cœur de princesse. Toujours pure, toujours tendre, prêt à être émue encore. Elle rêve toujours du prince charmant.

Cette histoire d'amour, c'est aussi et sans doute d'abord, la déclaration d'un fils pour sa mère, qu'il re-met en lumière en lui offrant peut-être le plus beau rôle de sa vie.


La magie surprenante de ce film opère et vient délicatement nous cueillir.

Evidemment, une authenticité comme celle-là, ça ne fonctionne qu'une fois. Alors, apprécions cette petite pépite fragile, brillante et rock n'roll qui scintille un instant dans la nuit.
Une profonde respiration.


Une mention spéciale pour la bande originale du film, Party Girl de Chinawoman.

jeudi 28 août 2014

Charlie Bauer est amoureux

Théâtre de la Luna, festival d'Avignon 2014.

Texte d'Alain Guyard.
Mise en scène de Dominique Faccioli.

"Il n'y a d'amour que farouchement enragé, il n'y a d'engagement révolutionnaire que violemment amoureux."

On aurait pu s'en tenir au sous-titre de la pièce pour parler de celle-ci - l'intensité des scènes et le jeu tout en émotion des comédiens illustrant parfaitement le propos romanesque.

Or il n'en est rien car le tableau final nous ouvre à une relecture complète de l'intrigue amoureuse, et donc de l'engagement politique - moins pure, violente en fait - les deux inextricablement liés à chaque instant.
"Vive la liberté !", crie Renée Bauer...
Quelque chose se fractionne alors à l'intérieur de nous. Les larmes coulent. Pourquoi ?
Cette liberté qui nous est chère.
Cette liberté qui n'en est jamais une.
Cette liberté qui doit être sans cesse repensée.
Pour exister. Un peu.
La liberté, face à qui ? à quoi ?
Alors, qui est Charlie Bauer ? Charlie Bauer est amoureux.

L'amour, comme délivrance. Mais aussi, un enfermement.
Celui qui sauve et celui qui aliène.
Celui qui guérit, qui justifie.
Celui qui emprisonne et dépersonnalise.
Celui qui grandit et celui qui fige, et fustige, et fusille.
Celui qui unifie et celui qui crucifie.
N'être enfin plus que l'ombre de soi-même. Une caricature.
Tel est le prisme par lequel nous accédons à la légende révolutionnaire.

Une femme, professeur de français, éprise de liberté et de grands idéaux de justice et d'égalité, tombe amoureuse du prisonnier.
S'en suit une relation épistolaire entre les deux protagonistes par laquelle théorie et pratique se côtoient dangereusement, jusqu'à s'apprivoiser, s'aimer, ne faire qu'un.
Le raisonnement a besoin d'une incarnation empirique. Et la réciproque va s'avérer tout aussi vrai.
Une histoire d'amour absolument romantique nous est présentée là.
25 ans d'amour. Très peu d'années de vie commune, lors des rares et brèves libérations de Bauer.
Les tourments de la prison, les affres de la passion.
La liberté et la justice dans les yeux d'un gamin.

Presque rien sur les années douloureuses et cruelles auprès de Mesrine. Parti pris romanesque qui ne manquera pas de déranger et de coincer aux entournures de ceux qui les ont subies.

D'autant que c'est l'épouse, ici, qui mène ce jeu dangereux.
Quand Bauer se détourne des armes pour étudier jusqu'à obtenir un titre de docteur en anthropologie sociale, sous l'influence tacite de sa prof de femme, choisissant les mots pour continuer le combat, Madame Bauer cherche encore quant à elle, l'adrénaline du combat armé. Son flingue à elle, c'est Charlie. Sa vie.
Elle ne lui laissera pas d'autres choix que de lutter toujours les armes à la main.
Pour la liberté.
Oui. Aux prix forts...
Ceux d'un amour aliénant et d'une récupération sociétale arrangeante.
L'un alimentant l'autre jusqu'au bout.


mercredi 27 août 2014

Lucrèce Borgia

Cour du Château de Grignan, août 2014, dernière représentation.

Textes de Victor Hugo.
Mise en scène de David Bobbée.


Un coup d'épée... dans l'eau.

En un mot : dommage.
Dommage que Béatrice Dalle, la tête d'affiche soi-disant, ait un charisme de poisson rouge. Le plateau mouvant constitué d'eau froide haute de 30 centimètres n'appelait pourtant aucunement la métaphore aquatique... mais bien Venise. Complètement noyée, la Dalle... Aucun jeu, aucune émotion, rien ne se lit jamais sur son visage, ses mouvements - rarissimes - sont empruntés et sa voix monocorde sonne faux et ne porte jamais. Dur.
Dommage que la modernité ne soit jamais totalement assumée et que l'on finisse par boire sévèrement la tasse.
C'est l'excellent comédien Jérôme Bidaux - Gubeta - qui sauve le spectacle de bout en bout en lui donnant quelques lettres du théâtre.

Après, la scénographie est très réussie. Cette idée de mettre de la flotte de partout, elle est vraiment pas mal. Le jeu de lumières sur la façade du château et ce miroir d'eau est superbe. Soulignons la prouesse des comédiens qui jouent pendant 2 h 30 dans ce liquide presque glacé, se roulant dedans dès qu'ils le peuvent. Des petits gars au corps de rêve, en provenance du cirque et de la danse - ils vont nous en faire la démonstration sans répit... -, qui jouent plutôt bien.

David Bobbee, c'est franchement le mec qui a tout compris. Il a la recette du succès et il ne va pas la laisser perdre.
Une sorte de grosse salade appétissante et bien rafraîchissante en cette période estivale. Mais pas bien essorée. On y met tous les aliments nécessaires - danses, chants, acrobaties... ça croque sous la dent, ces petits mecs bien faits -  et plus encore afin qu'elle soit consistante et fasse l'unanimité, pour un prix très raisonnable. Une truc de saison pour touristes. Mais c'est fade au final. Sans finesse jamais. Il manque un ingrédient qui donnerait du goût et de la profondeur à cette préparation.
Un peu de sel dans cette eau.

2 h 30 faites de bric et de broc, c'est long. Un fourre-tout. Bobbee privilégie toujours la forme au fond, partant peut-être du principe que le fond est acquis puisqu'il s'agit d'auteurs reconnus et aimés de tous. Or, si on ne donne pas corps au fond, on ne l'entend plus. Il ne s'agit pas là de numéros de cirque, de cabrioles ou de saltos arrières (plutôt bien exécutés du reste - merci aux artistes), mais bien d'incarnation. De vie et d'émotion. Ca, il n'y en a jamais.

Le panache, à foison. A travers les corps vigoureux, athlétiques, hyper énergiques et toujours en mouvement des jeunes seigneurs. Ne boudons pas notre plaisir.
Mais le panache à outrance. Le bruit, les grands gestes. On en a plein les mirettes. Mais le coeur reste vide.
L'esthétique est là. Pendant la première heure. La surprise et l'enchantement fonctionnent plutôt bien. Mais seulement une heure. Après, on voit vraiment trop les ficelles et les énormes coutures artificielles.
L'arrivée des seigneurs est assez magistrale, tout comme la scène d'humiliation de Lucrèce. Il y a de très beaux effets dans cette eau qui renvoie au bruit que font les chevaux, aux vacarmes des rues, aux corps qui s'affrontent. La trouvaille est à souligner. Malheureusement, il y a définitivement trop d'eau, et à la fin du spectacle, on a but jusqu'à plus soif depuis longtemps.

Une modernité, donc, jamais véritablement assumée, notamment pendant cette scène du banquet - imbuvable... trop c'est trop - qui n'est là que pour faire étalage des qualités physiques et un peu artistiques des comédiens acrobates qui font les paons : une pincée de chant, une pincée de roue avant, ici l'on marche sur les mains, là on danse le hip hop, et nous... on marche sur la tête. Ennuyeux au possible. Bobbée gratte une grosse demi-heure en insérant des extraits du roman les Travailleurs de la mer de Victor Hugo, et ça, ça ne rime franchement à rien. Dit en plus par l'hôtesse de ces lieux, une princesse en vieille rombière grotesque qui ne sert à rien non plus.

Bobbee, c'est une sorte de provocation politiquement correcte. Il flirte avec tout ce qui peut choquer mais reste toujours à la surface. De l'eau...
La modernité dans le langage n'est jamais vraiment osé. Et ça manque beaucoup.

Ah... Le mec à la gratte est... sympatique. Là aussi, dommage. C'était plutôt très joli au début, cette balade rock à la Damien Rice. Mais c'est redondant et à la fin, on ne sait plus quoi en faire de ce mec qui la ramène sans cesse, en anglais évidemment, alors - ben tiens ! - les comédiens le prennent à partie. Allez-y ! On est une bande de jeunes et on se marre... Pas de cadre. Pas de normes ! Ah ah ah... !


Le rôle de catharsis ?
Oui ! OF COURSE ! A les voir tous se vautrer allègrement dans cette pataugeoire glaciale, alors qu'on est nous-même déjà frigorifiés assis sur notre estrade en plein air bien trop frais pour la saison, on est vachement heureux et reconnaissants d'être bien au sec, même si avec une petite laine supplémentaire...


mercredi 2 avril 2014

A demain

Hexagone de Meylan, Scène nationale arts-science, mars 2014.

Texte et mise en scène de Pascale Henri.

Le degré zéro du théâtre. L'infinité vacuité de la réflexion. Une mise en scène obsolète et sciemment dépouillée. Quelques bouts de phrases jetées ça et là.

Un espace scénique et des dialogues tentant d'illustrer l'incommunicabilité en entreprise, microcosme du monde froid numérisé qui nous entoure. Quel programme ! Un théâtre social galvaudé qui se veut dénonciateur, accusateur, dans le but d'alerter et de faire prendre conscience, de réveiller en nous notre part d'humanité que nous sommes censés avoir oubliée, annihilée, étouffée pour répondre aux exigences sociales et professionnelles. Heureusement que cette pièce existe pour nous extirper de notre apathie légendaire, nous qui sommes simplistes et sans aucun esprit critique, baignant très communément dans une léthargie assumée et une ignorance crasse. L'auteur veut créer des émotions avec du rationnel et une suite de situations surannées. Ça ne fonctionne jamais. Elle intellectualise tout et nous demande d'être émus.

A qui peut bien s'adresser son théâtre ?

Les vrais intellos n'ont pas de temps à perdre.
Les vrais travailleurs n'ont pas de temps à perdre.
Ce théâtre a du plomb dans l'aile. L'incommunicabilité réside là.

Après la représentation, P. Henry accapare le micro et la parole pour expliquer pendant vingt bonnes minutes ce qu'elle cherche à faire et à provoquer chez nous, les très basiques, tantôt animal tantôt robotisé - que nous étions avant de croiser sa route -, bref sans nuances. C'est bien connu, la plèbe bien heureuse se larve dans sa vie étriquée, tremblant devant un patron, piétinant son voisin, méprisant son prochain, dans une totale méconnaissance de la société et des souffrances occasionnées parfois par le travail. Les suicidaires peuvent se pendre sous notre nez. Nous sommes trop accaparés par nous mêmes pour les voir et les aider. Au mieux, on les aidera à faire le nœud autour de leur cou.


Elle bombarde à coups de truismes et d'explications fallacieuses, se voulant altruiste et rebelle, allant jusqu'à faire un parallèle avec le despotisme d'Hitler - s'érigeant en grand défenseur de l'espèce humaine.

Car elle, elle les maîtrise plutôt bien les ficelles de la communication orale.
Hors représentations.
Alors sa quête soliloque.